le SED hypermobile / Désordres du Spectre de l’Hypermobilité (HSD)

Refaisons grâce au Prof Claude Hamonet, l’historique de ce syndrome (clinique) ou maladie (du tissu conjonctif):

I – Introduction : le poids historique de l’étiquette d’étrangeté, de monstruosité.

Ehlers-Danlos est une maladie qui a connu un destin paradoxal. Cliniquement identifiée il y a 125 ans (Chernogobow)), facile à reconnaître et à diagnostiquer, elle est inconnue de la quasi totalité des médecins qui n’en font jamais le diagnostic (Rodney Grahame). Ceux qui connaissent son nom, dans leur grande majorité, la considèrent plutôt comme une curiosité du fait d’articulations très mobiles évoquant aussitôt le contorsionniste ou d’une peau très étirable à l’instar du marin espagnol, Georgius Albes, âgé de 23 ans, présenté par le chirurgien hollandais d’Amsterdam, Job van Meek’ren à l’Académie de Leiden en 1657.

Ce contexte conduit les médecins à considérer le syndrome d’Ehlers-Danlos comme une  » « une maladie mineure », une maladie qui n’est pas « sérieuse », bref une maladie « négligeable » (Rodney Grahame). Certains concluent même leur consultation en déclarant: « vous devriez travailler dans un cirque », ne voyant que les deux signes qui ont marqués, dès le début de son Histoire, son identification et négligeant la multiplicité de symptômes qui accompagnent cette maladie systémique qui concerne l’armature même de ce qui constitue notre corps: le tissu collagène.

Au delà de l’incurie et du malentendu, il y a le mépris et la suspicion dont ces patients sont très souvent victimes, le décalage entre l’apparence « normale » de leurs membres, siège de douleurs souvent atroces et de maladresses incontrôlables. Le côté « invisible » de leur maladie les expose à des réactions inappropriées et violentes de la part des médecins, répercutées par l’entourage, les uns et les autres « ne comprenant pas ».

II – Initialement, c’est une histoire de peau et d’articulations trop mobiles

Les manifestations les plus apparentes ont tout naturellement attiré l’attention d’une des premières spécialité médicales à s’identifier et à se structurer: la dermatologie. Les premiers descripteurs connus sont des dermatologues (Tschernogobow, Ehlers, Danlos) qui introduiront les deux signes qui marquent jusqu’à présent l’histoire de cette maladie: l’étirabilité des tissus, de la peau en particulier, et une mobilité excessive des articulations. L’importance attachée à ces deux signes aura des conséquences fâcheuses pour les malades concernés puisqu’en leur absence, d’une part, on éliminera des cas’authentiques de maladies d’Ehlers-Danlos, et, que, d’autre part, on minimisera ou écartera d’autres signes qui font la sévérité de cette maladie laquelle apparaît aujourd’hui comme une cause fréquente de situations de handicap. C’est un Danois, Edvard Lauritz Ehlers (1863-1937), fils du maire de sa ville, ayant étudié la médecine à Berlin et à Paris, qui fera la première description la plus complète.

Cette description fait suite à celle du dermatologue russe Alexandre Nicolaiev Tschernogobow (ailleurs orthographié Chernogobow ou Csernogobov) qui, en 1892, présente deux patients (un jeune homme de 17 ans et une femme de 50 ans) à la Société de Dermatologie et Vénérologie de Moscou. 

Un cas reconnu ultérieurement par Weber (1936) a été présenté par Sir Malcolm Morris, en 1900, à la Société de Dermatologie de Londres.

En 1907, Cohn présente un cas « d’un malade avec peau en caoutchouc (cutis laxa) » au IXe congrès des Sociétés allemandes de dermatologie, cette publication passera inaperçue.

En 1908, Henri Alexandre Danlos, physicien et dermatologue (le premier à avoir introduit des aiguilles de Radium dans les cancers de la peau), associé à M. Pautrier pour l’histologie, présente à la Société française de Dermatologie et de Syphiligraphie de Paris  « un cas de cutis laxa avec tumeurs par contusion chronique des coudes et des genoux ». Il insiste sur deux signes: « la minceur anormale » et  » l’élasticité extraordinaire  » de la peau qu’il compare à celle  » d’une mince lame de caoutchouc ». En fait, Danlos avait examiné un patient que François Hallopeau et Macé de Lépinay avaient déjà présenté, en 1906, à la Société française de dermatologie avec l’intitulé de xanthome juvénile pseudo-diabétique. Cette emphase mise sur l’hyperétirabilité cutanée aura de lourdes conséquences face à ce syndrome sur l’attitude des médecins qui s’attendent à ce qu’elle soit « extraordinaire » alors qu’elle est modeste dans le SED et parfois absente. Beaucoup font, encore à tort, de son absence une cause d’exclusion de ce diagnostic.

III – La navigation parallèle du SED en rhumatologie et en génétique

La suite de l’Histoire du syndrome d’Ehlers-Danlos est marquée par l’implication de deux disciplines médicales dans sa description et ses essais d’identification: la rhumatologie avec Grahame et la génétique avec Beighton. Le caractère de bénignité a été dramatiquement mis en avant comme le souligne Rodney Grahame à propos du « syndrome d’Hypermobilité articulaire », dénomination que les rhumatologues donnent à cette maladie: En 1967 est publié dans Annals of rheumatology diseases.un article sur le syndrome d’hypermobilité musculo-squelettique généralisée chez des personnes considérées comme « autrement normales », C’est-à-dire que ces personnes ne sont pas du tout malades, qu’elles sont en bonne santé avec un aspect particulier de la normalité.
Grahame et Bravo ont considérablement fait évoluer sa description clinique chez les rhumatologues en l’enrichissant progressivement: douleurs, fatigue, troubles digestifs, dysautonomie, situations de handicap…). Grahame met au point les critères diagnostiques dits de Brighton pour le syndrome d’hypermobilité articulaire qui comportent deux critères principaux: un test de d’hypermobilité de Beighton supérieur à 4 au moment de l’examen ou antérieurement et des douleurs articulaires depuis plus de trois mois de quatre articulations ou plus et des critères mineurs tels que vergetures, épicondylites, luxations… Finalement, ceci rejoint les descriptions historiques et se rapproche des observations qui seront faites par les généticiens.

La deuxième discipline médicale qui s’est investie dans ce syndrome est la génétique à partir de 1949. Le caractère familial évoqué par Achille Miget dans sa thèse est démontré par Johnson et Falls qui font la preuve du caractère héréditaire dominant du syndrome à partir d’un arbre généalogique de 123 personnes sur 6 générations. Jansen (21), en 1955, montre que l’entrelacement des fibres de collagène est moins serré dans la peau d’un sujet atteint du syndrome d’Ehlers-Danlos que dans la peau d’un sujet témoin et explique les manifestations cliniques de cette façon.

En 1968, une transmission liée à l’X est mise en évidence par Beighton. En 1969, Beighton, à partir de l’observation de 100 patients, propose cinq formes distinctes, cliniquement décelables: le type gravis ou type I, le type mitis ou type II, le type hypermobile ou type III, le type ecchymotique ou type IV correspondant au type artériel de Barabas et le X-linked syndrome au type V.

Beighton donnera son nom à un test d’hypermobilité en 9 points, application d’un test utilisé pour comparer la mobilité articulaire des Noirs et des Blancs en Afrique du Sud. Il deviendra une référence pour beaucoup de cliniciens. Pourtant, il est imparfait, variable, souvent mal appliqué et mal interprété; il sert trop fréquemment, à l’instar de l’étirabilité, à éliminer un diagnostic pourtant évident devant la présence d’autres symptômes tout autant significatifs. Autour de Beighton et de son école se met en place une classification basée sur les mutations des collagènes. Cette classification, partie de onze types à Berlin, est réduite dans la dernière version à Villefranche à six et, en pratique courante, à trois (classique, hypermobile, vasculaire). Elle préoccupe beaucoup les patients qui craignent d’être atteints du SED-vasculaire qui a été décrit comme précocement (40 ans) léthal avec le risque de rupture d’anévrysmes et de déchirures graves d’organes (« éclatement » de l’utérus par exemple). Ce tableau est heureusement rarissime mais il continue à marquer les esprits et bon nombre de parturientes sont aujourd’hui menacées d’autorité d’une césarienne si leur obstétricien apprend qu’elles ont un SED. Dans les critères de la classification de Villefranche manquent la plupart des symptômes du SED tels qu’ils sont actuellement décrits, ce qui constitue un obstacle à son utilisation diagnostique et crée beaucoup de confusions préjudiciables aux patients. Il apparaît clairement comme l’indique Tinkle, que l’hypermobilité articulaire des rhumatologues et le syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile des généticiens sont une seule et même entité clinique qui relève des mêmes préventions et contre-indications face aux risques (iatrogènes surtout) et des mêmes traitements du syndrome proprioceptif.

IV – Aspects cognitifs et psychopathologiques. Autisme et Syndrome d’Ehlers-Danlos.

Un des aspects de la séméiologie du SED qui a été négligé est l’aspect cognitif et la psychopathologie. Antonio Bulbena (Barcelone) et son équipe, en 1988, met en évidence la corrélation entre l’hypermobilité articulaire et l’anxiété chez les patients suivis en ambulatoire par le service de rhumatologie à l’Hôpital del Mar de Barcelone: 70% des patients hypermobiles présentent un trouble psychopathologique contre 22% pour les témoins. Cette relation entre l’anxiété, la dépression et les troubles du comportement alimentaire sont l’objet d’études et de publications. Plusieurs pistes peuvent être évoquées: les difficultés à gérer un syndrome handicapant permanent favorisent l’anxiété pathologique chez les patients avec une maladie d’Ehlers-Danlos SED. La présence des troubles cognitifs (mémoire, attention, concentration, orientation) peut aussi créer des perturbations psychoaffectives importantes.

Un cas particulier est l’autisme pour lequel des associations avec le SED existent, associant dans une même famille de cas de syndrome d’Ehlers-Danlos et d’autisme, comme nous l’avons observé. Ce diagnostic d’autisme est parfois porté par excès.

V – Autres manifestations

D’autres manifestations ont été récemment rapprochées de la maladie d’Ehlers-Danlos: Altérations de mastocytes avec une fragilité observé chez nos patients face aux infections, Moelle attachée, Arnold-Chiari, la fréquence des Kystes (cutanés, ovariens, hépatiques, rénaux, faisant évoquer une polykystose, pancréatiques, hypophysaires…), images d’IRM avec tenseur de diffusion, du faisceau arqué en particulier.

VI – Pour une changement radical de la vision médicale et sociale de la maladie d’Ehlers-Danlos.
C’est une maladie fréquente (prévalence basée sur le nombre de cas dépistés par des médecins généralistes formés au diagnostic: un million de personnes en France) qui ne doit plus être enfermée dans le cadre étroit des maladies rares et orphelines.

C’est une maladie héréditaire, autosomique, largement transmissible: l’observation attentive des familles de nos patients nous apprend que, dans la quasi totalité des cas, dans une famille tous les enfants sont atteints si l’un des parents est atteint. Parfois ce sont les deux parents qui sont concernés témoignant de la fréquence de la maladie.

Les femmes sont plus nombreuses dans nos consultations (80%) car les manifestations cliniques sont plus sévères chez elles, du fait du facteur hormonal qui ponctue le parcours de leur maladie (puberté, cycle, grossesse, accouchements, ménopause).
Elle n’est pas ou très tardivement (23 ans de retard en moyenne dans notre cohorte) diagnostiquée, ce qui expose à une errance médicale avec les risques iatrogéniques induits par les traitements (chirurgicaux, médicamenteux, ostéopathiques, psychiatriques avec internements abusifs…). L’ignorance médicale généralisée ou la sous estimation des symptômes orientent très souvent, du fait des douleurs fréquentes et de l’hyperesthésie diffuse, vers le diagnostic de fibromyalgie à l’évocation duquel celui d’Ehlers-Danlos doit être systématiquement discuté. Les traitements appliqués dans cette pathologie, notamment par les antidépresseurs aggravent les symptômes de la maladie d’Ehlers-Danlos.

En l’absence de marqueur biologique, le diagnostic repose uniquement sur la clinique devant le regroupement de manifestations exprimant les multiples localisations (cutanées, bucco-dentaires, musculo-articulaires, vasculaires, respiratoires, digestives, urinaires, ORL, ophtalmologiques, vestibulaires, gynécologiques -avec des conséquences parfois sévères sur les grossesses et accouchements-, neurovégétatives, dystoniques, cognitives, affectives et comportementales. Cette multiplicité ne doit pas surprendre et orienter vers une origine « psychosomatique », comme nous l’observons très souvent.
L’évocation du Syndrome de Munschausen n’est pas rare, même de la part des cliniciens les plus réputés, tant les préjugés médicaux sont importants et la défiance vis-à-vis du patient trop souvent ancrée dans l’esprit du médecin.

Les manifestations cliniques peuvent s’exprimer dès la naissance (luxation de hanche, pied bot) ou débuter dans les premiers mois de la vie (constipation, reflux, ecchymoses, otites), dans les premières années (hypermobilité, peau fine et fragile, fatigue importante, instabilité à la marche avec chutes, douleurs abdominales violentes, ballonnements, douleurs musculo-articulaires généralisées, instabilité douloureuse avec obligation de bouger , de se lever incompatible avec la tenue en classe, migraines, bronchites, blocages respiratoires dits asthmatiformes parfois dus à des douleurs costales, entorses, luxations, extrémités froides, troubles de la déglutition, fatigue visuelle, myopie, hyperacousie, hyperosmie, poussées dentaires anarchiques, rétrognatisme, palais ogival, signe de Gorlin dans lequel il est possible de toucher le nez avec la pointe de la langue…). Durant l’enfance, on peut observer une tendance à l’hyperactivité avec des difficultés d’attention. Par contre l’intelligence est vive, avec de très bonnes performances scolaires, malgré (ou grâce à) l’hypermobilité, les performances sportives (danse, gymnastique, sports de combat) sont souvent excellentes.
A l’adolescence, tout change, les performances scolaires persistent, les performances sportives s’effondrent, les douleurs sont de plus en plus intenses, cause d’arrêt de l’activité sportive, mais aussi l’asthénie s’installe, accompagnée de migraines, de troubles du sommeil importants, perturbant gravement la scolarité et la vie sociale. La dysautonomie se manifeste davantage avec hypotensions, malaises diffus (POTS), crises de tachycardie, frilosité, sueurs trop abondantes. Les incidences sur l’orientation scolaire et professionnelle sont fortes, parfois contraignantes.

Ailleurs, les premières manifestations qui conduisent à demander un avis médical sont plus tardives. Elles peuvent survenir au décour d’un traumatisme violent (accident de la voie publique, accident de sport), posant les problèmes d’indemnisation du dommage corporel que l’on imagine face à l’ignorance du syndrome de la part des médecins conseils. L’âge n’apparaît pas comme un facteur d’aggravation systématique.

La conduite pratique du diagnostic impose de disposer d’une liste de symptômes évocateurs et d’en mesurer la sévérité sur une échelle analogique de 0 à 4 (Lickert). Celle qui est présentée a fait l’objet d’une première validation avec un groupe témoin de patients sans maladie d’Ehlers-Danlos.

Regroupement des manifestations cliniques de la maladie d’Ehlers-Danlos contribuant à son diagnostic (44).
Les douleurs (45), tout le corps est douloureux. Elles sont: articulaires et périarticulaires (98%, très intenses dans 82% des cas), musculaires (82%), abdominales (77%), thoraciques (71%), génitales (75%), migraines (84%), hyperesthésie cutanée (39%). La fatigue (96%).Les troubles proprioceptifs et du contrôle du mouvement: pseudo entorses (86%), luxations (90%), L’hypermobilité (97%). Les altérations de la peau: minceur (91%), fragilité (87%), vergetures (64%), retard de cicatrisation (85%). Les hémorragies (92%). Manifestations gastro-intestinales: reflux gastro- oesophagien (80%),(85%), « blocages » respiratoires avec sensation d’étouffement (65%). Manifestations bucco-dentaires (71%). Manifestations ORL: hyperacousie (89%), hypoacousie, voire surdité (57%), acouphènes (69%), hyperosmie (69%), vertiges (80%). Manifestations ophtalmologiques: fatigue visuelle (86%), myopie (56%). Manifestations gynécologiques et obstétricales: règles abondantes (78%), accouchements difficiles (78%). Dysautonomie: frilosité (77%), sudations abondantes (74%), pseudo syndrome de Raynaud (74%), accélérations du rythme cardiaque (66%), Manifestations vésico-sphinctériennes: difficultés à uriner, envies pressantes. Manifestations cognitives: altération de la mémoire de travail, de l’attention, de l’orientation. S’ajoutent, parfois, des manifestations de dystonie (mouvements involontaires parfois alternés, tremblements, crises diffuses trompeuses généralisées à un hémicorps, ou aux extrémités, de contractures etc.).

Le caractère familial (incluant les formes frustes, incomplètes ou partielles) contribue largement au diagnostic de maladie héréditaire en l’absence actuelle de test génétique, inutiles lorsque quatre enfants sur quatre et leur mère sont atteints.

Un apport physiopathologique récent qui révolutionne l’approche séméiologique et thérapeutique de la maladie d’Ehlers-Danlos: l’altération majeure de la proprioception et de l’image du corps.

Elle s’appuie sur la connaissance du rôle du tissu collagène dans la résistance des tissus et en tant que support des capteurs qui fournissent aux centres de régulation consciente, automatique et végétative, les informations nécessaires à une bonne régulation de notre économie humaine. Cette perception, dénommée par Sherrington proprioception, véritable sixième sens, nous informe en permanence sur ce qui se passe au niveau de notre corps (à l’intérieur comme à l’extérieur) et sur les relations entre notre corps et son environnement proche. La maladie d’Ehlers-Danlos est donc une maladie de la proprioception, ce qui permet d’interpréter ses manifestations et de donner une ligne d’action à ses traitements qui seront spécifiques. Leur efficacité venant constituer un argument thérapeutique au diagnostic.

Concernant les critères de New York 2017 et pour le score de Beighton et quant à ce qui est de la biopsie cutanée en Belgique (nous sommes l’un des rares pays en Europe ayant une énorme expérience de la biopsie cutanée dans le SED ainsi que pour d’autres pathologies des tissus conjonctifs (au service de dermatopathologie du CHU Sart Tillman de Liège):

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